Lucas Belvaux signe un film poignant, qui pousse le spectateur à la discussion

Le cinéaste belge Lucas Belvaux signe, trois ans après la comédie romantique « Pas son genre », un film (très) engagé, à quelques semaines de l’élection présidentielle. Nous l’avons rencontré à Saint-Pol-sur-Ternoise, où il présentait l’avant-première de « Chez Nous », son dernier film polémique. Il a tourné celui-ci dans le Pas-de-Calais, un département qu’il connaît bien.

« Chez Nous » : Le pitch du film

Pauline est infirmière dans les mines, à « Hénard » (la contraction de « Hénin-Liétard », avant sa fusion qui a donné Hénin-Beaumont), une ville « fictive » du Pas-de-Calais. Elle est appréciée de tous, elle est au contact direct de la population, qui la kiffe (et elle lui rend bien). Mais la pauvre Pauline, elle est seule, à élever ses deux enfants et à s’occuper de son père, un ancien ouvrier communiste malade de l’amiante.

Son médecin de famille, Berthier (joué par André Dussollier) se fait l’intermédiaire d’un parti politique extrémiste, pour en faire une tête de liste aux municipales.

Après quelques hésitations, genre « ah mais non, ce sont peut-être des putains de SS nazis FDP, si ça se trouve leurs grand-mères les folles étaient des kapos à Sachsenhausen ou Auschwitz », ou à l’inverse « mais en fait, ce sont des gens comme toi et moi, des travailleurs qui en ont simplement marre de la racaille et qui veulent dire leur amour de la patrie sans qu’on les force à porter des burkinis en mangeant du couscous », elle décide d’accepter la proposition qui lui est faite, quitte à finir tondue un jour ou l’autre, ou à appeler son chien « Goebbels » sans même faire gaffe.

Entre temps, elle tombe amoureuse de « Stanko », un p’tit mec un peu trop proche des mouvances intégristes flamandes, et un peu trop amateur de chasse aux Roms… Et qui ne colle pas avec la nouvelle image bien proprette que se donne « Le Bloc » (le parti incarné par Dussollier et Jacob), qui prend peu à peu les rênes de sa vie.

 

Un film nécessaire avant les élections

Lucas Belvaux ne s’en cache pas, il a écrit ce film avec Jérôme Leroy, dans le but de nous questionner sur la montée des partis populistes, et pas seulement en France. Catherine Jacob y campe une politicienne qu’on reconnaît, et qui prendrait ses décisions depuis Paris, quitte à foutre en l’air la vie d’une infirmière aimée de tous. Le réalisateur et son producteur tenaient à sortir le film avant les élections, pour générer le débat au moment le plus opportun.

« Tout ce qui est dit dans le film, et montré à propos du film est tiré de la réalité. Il y a des anecdotes provoquées par ce parti… objectivement fasciste. Son image est ripolinée, mais le fond de commerce est identique. »

Le tournage, qui a duré 2 mois, à Bruay-la-Buissière et Liévin en majorité, n’a pas connu de heurts.

« On était discrets, on ne voulait pas être provocateurs. Ce film est là pour provoquer la discussion, pas la bagarre… »

Le film a été très documenté, notamment le volet sur le groupuscule flamand (et violent) auquel appartient Stanko, et qui pourrait rappeler mystérieusement la Maison Flamande, à savoir la cellule de Lambersart de Claude Hermant (qui aurait fourni des armes au terroriste de l’hyper casher).

Rien n’a été laissé au hasard, pour ne pas non plus dans la caricature. Lucas Belvaux signe ici un film engagé, profond, mais pas accusateur.

« Il faut montrer la nature ce parti là, qui est radicalement différent des autres. Je pense que c’est pour ça que les gens votent pour ce parti, parce qu’ils sentent sa différence. Ils l’investissent de leur colère… Mais c’est une erreur politique grave. »

Les critiques pleuvent, un mois avant la sortie du film

Lorsque la bande-annonce du film est diffusée, les critiques pleuvent… alors que le film n’est même pas sorti ! Comment est-il possible qu’un réalisateur aussi connu et reconnu que Lucas Belvaux, puisse autant déchaîner les passions ?

Dans ces critiques acerbes, et parfois menaçantes, l’argument qui est revenu le plus souvent est le fait que le film a été financé pour partie sur des fonds publics, pour une œuvre orientée idéologiquement. En effet, avant de voir le film, on craignait que cela soit le cas. Hors, il n’en est rien, et il faut reconnaître que Lucas Belvaux a réussi ici un pari très peu évident : celui de nous raconter une histoire presque banale, qui pourrait être celle de tellement de personnes. Cette infirmière, Pauline, est comme des millions de français, désabusée par sa propre vie et par des années de ballotages politiques qui n’ont fait qu’envenimer une situation déjà précaire à la base… Et elle se laisse séduire par les sirènes du « bloc » patriotique, comme une réponse « à côté de la plaque » à ses problèmes et à ses ambitions.

Chez Nous, un film de Lucas Belvaux
André Dussollier incarne un médecin de famille aux facettes très sombres

Comment expliquer aussi, qu’une région fondamentalement ancrée sur le partage et la camaraderie (les mines) ait pu virer de bord aussi vite ?

« Que certains politiciens affirment que c’est un navet sans l’avoir vu, je m’en fous ! Ca ne me touche pas en tant que créateur… C’est juste un peu poisseaux, c’est de la basse politique. J’aurais préféré qu’ils disent quelque chose d’intéressant, pour déclencher le débat. Mais je fais un peu le naïf là, ils ne débattent pas, ils assènent des vérités… »

« Chez nous » sortira le 22 février en salles (et à partir du 8 mars au Régency de Saint-Pol-sur-Ternoise, qui nous a permis de voir le film en avant-première)