Vous voilà ! Fraîchement diplômé, avec tout un tas de qualifications trop classes, une année à l’étranger pendant vos études qui fait la fierté de votre famille (alors que vous l’avez passée à sécher les cours et à boire en charmante compagnie), des projets d’entreprise sociale et solidaire, un cap et une vision…

Manque de pot, votre projet d’auto-entreprise de vente de coupes menstruelles recyclées n’a pas décollé, et, à moins de retourner vivre chez vos parents, il va vous falloir trouver une famille professionnelle assez rapidement ! Le problème, c’est que McDo ne paye pas assez pour s’offrir un Macbook Pro neuf tous les 6 mois, les agences ont resserré les boulons et n’embauchent presque pas, l’industrie, c’est pas votre truc… Bref, un seul univers, et pas des moindres, vous tend les bras, celui des décideurs et des maîtres du monde en hoodie et Adidas Originals, où quiconque peut réussir par la force de son mental et sa détermination (…) :

Le monde merveilleux des startups !

Pas vraiment pris aux sérieux à leurs débuts, pas toujours respectés du fait de leur jeune âge, les jeunes dirigeants des startups sont pourtant les nouveaux maîtres de l’économie. Dans le Nord, on ne compte plus le nombre de boîtes « 2.0 » (comme disent les banquiers et les blogueurs de plus de 30 ans) qui s’ouvrent et se développent. Leur crédo ? Proposer le produit qui changera nos habitudes, développer une application qui donnera au monde un autre visage, et imaginer faire évoluer les rapports entre les citoyens du monde. Et si cela passe par le fait de développer une gamme de sextoys connectés en bluetooth avec cardio-fréquencemètre intégré dans le cloud, et bien… développons une gamme de sextoys connectés en bluetooth avec cardio-fréquencemètre intégré dans le cloud.

Le sourire et le bonheur, obligatoires

Hors de question d’intégrer les rangs d’une grande boîte, enfin peut-être pas encore grande, sans envoyer le pâté. Oubliez vos costumes et autres pompes de banquiers, la tendance est à la coolitude. Si des banquiers et des financiers ont capitalisé sur votre image de drogué décontracté à grands coups de millions d’euros, sachez ne pas les décevoir. Comme il y a fort à parier que votre boss CEO aura à les revoir dans 6 mois maxi pour une énième levée de fonds, essayez d’assurer un peu. Le futur des vibros connectés au cloud est entre vos mains. Ne merdez pas.

Lâchez-vous un maximum sur votre image. Stan Smith aux pieds obligatoires, allure de dandy. Tentez le pari fou d’être décalé, mais exactement comme vos collègues. Seuls les dev’ auront le droit de porter la barbe longue (pas entretenue), le même jean troué toute la semaine, des pompes de skate craquées au festival de Dour 2007, et un tee-shirt d’un vague groupe de metal hardcore disparu dans les années 90. Pour les autres, l’uniforme sera de mise.
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Apprenez les codes

Dans le monde merveilleux des startups, quand on vend un truc, même si la vente de ce « truc » en question ne couvre pas un seul pourcent des sommes investies jusque là, il y a une tradition à laquelle tout le monde doit se plier : le gong, la sonnerie de ring, la corne de brume… bref, tout ce qui vous tombera sous la main (et fera du bruit). C’est rigolo au début, mais vous aurez rapidement envie de massacrer quiconque utilise ce maudit instrument. Les flammes dans les yeux, la boule au ventre, l’envie de poignarder mentalement chaque personne présente dans l’open-space et le visage crispé, vous applaudirez quand même, et retiendrez votre pulsion de meurtre à son paroxysme lorsque votre patron en baskets lâchera un « HIGH FIVE ! » pour vous terminer dans un combo de la mort.

Et ce sera la même chose à chaque fois. A chaque levée de fonds, à chaque vente un peu lourde, à chaque départ ou arrivée d’une personne avec qui vous ne partagerez sans doute rien, si ce n’est un coin de table lors de la pause déj’, pour déguster votre salade no-glu tout en papotant de la dernière acquisition de Zuckerberg, comme jadis vous auriez pu parler du choix de Jean-Marc de la compta d’acheter une Laguna et non une Safrane. C’est clair pour vous désormais : vous allez devoir trouver, et vite, un exutoire pour passer vos nerfs (des coups de Black & Decker).

Pour certains, il n’y a pas d’instrument bruyant, mais un truc encore pire, comme une putain de danse de ralliement. Selon des scientifiques, ce genre de ralliement forcé, lorsqu’il est pratiqué par un individu pas acquis à 100% à la cause, pourrait avoir les mêmes effets sur le cerveau que de consommer du crack quotidiennement depuis l’âge de 8 ans, d’interviewer Alain Soral après l’avoir traité d’ordure, ou, de façon plus classique, de voir sa famille entière décimée par des clowns tueurs supporters du PSG.

Un organigramme pondu par un algorithme puissant

Dans votre nouvelle boîte, chacun a une fonction bien définie. Tout le monde a un titre rutilant (même les stagiaires), et vous mettrez sans doute du temps à comprendre ce que fait Cédric, ce mec de 23 ans, formé au MIT et rompu aux technologies les plus poussées des Internets. D’ailleurs, ce sera peut-être l’occasion de renouer le contact avec lui, parce que depuis que vous l’avez injustement titré « programmateur » dans votre dernière Keynote, celui-ci ne vous adresse plus la parole. Il vous aura d’ailleurs traité de « rookie », alors que « rookie » n’apparaît même pas dans votre fiche de poste.

Le « responsable du bonheur », contrairement à son intitulé de poste, vous file des envies de suicide ? C’est normal, et il y a fort à parier que vous ne soyez pas seul dans ce cas. Sous couvert de garantir votre « qualité de vie au travail », la « bonne cohésion entre les équipes », ou encore « la culture positive de l’entreprise », le CHO (Chief Happiness Officer) vous vendra son bullshit, et vous forcerez le sourire en sa présence, pour montrer à quel point vous êtes un élément intégré et formé au lien professionnel, et terrorisé que vous êtes de subir un rapport sévère à votre endroit.

Ne cherchez pas les vieux ici, il n’y en a pas. Enfin, par « vieux », entendez « tout individu de plus de 35 ans ». Et s’il y en a, c’est sans doute une personne importante. Le « CTO » (prononcez « city oh ! ») fait figure de sage, du haut de ses 37 balais. Respectez cette personne, comme on respectait ses aînés, dans l’ancien temps des anciennes entreprises des civilisations disparues de l’ère pré-Internet. Il partira sans doute en retraite dans un an ou deux, quand il aura vendu ses parts sociales, où il vendra des formations couteuses entre deux traversées transatlantiques sur son bateau.

Trouvez-vous une activité physique à la con

Prévenez vos potes du foot, vos copines du modern-jazz… Vous n’irez plus vous abaisser à de si viles activités physiques. Dorénavant, ce sera cross-fit tous les midis, Power Clean, et HIIT (High Intensity Interval Training). Plus le nom de votre discipline est compliqué, plus il est utilisé par des GI, gladiateurs ou tueurs à gage, mieux c’est. Hors de question aussi de pratiquer un sport qui ne s’écrive pas en anglais. Si vous « courrez » tous les dimanches à la Citadelle avec votre ancien jogging de l’AS Radinghem-en-Weppes (qui vous rappelle une heureuse période révolue), veillez à ce que vos amis intègrent le fait que vous pratiquez dorénavant le « running », et équipez-vous d’un « outfit » adapté.

Les 5 règles d’or pour évoluer en startup

  • Ne questionnez jamais, ô grand jamais, les choix d’investissements de votre boîte. Vous n’aimeriez pas qu’on vous retire votre fontaine à coca, ou qu’on vous demande de rendre votre carte au club de muscu ? Alors fermez-la. Si votre boss a claqué 100 000€ juste pour refaire la déco de votre open-space façon hangar industriel de Brooklyn (alors que vous êtes à Roubaix), il y a sans doute une raison qui vous dépasse.
  • Achetez vos Stan Smith d’avance, sur Internet, et stockez-les. En utilisant les bonnes promotions et au bon moment, vous devriez économiser facilement dans les 300€ par an. Ca se prend.
  • Si vous consommez encore de la viande, ne critiquez pas le choix vegan et zéro déchet qui a été fait à la cantine de la boîte. Mangez simplement vos steaks, crus, à l’abri des regards (c’est à dire aux toilettes). N’imposez pas votre vision carniste et rétrograde. Ca n’a rien à voir avec le boulot, mais qu’importe.
  • Quelles que soient vos opinions politiques, gardez les pour vous. Le grand et beau discours sur la paix entre les peuples, l’amour de son prochain et l’accueil des populations opprimées de votre CEO vous a filé les jetons ? Il se peut que ce ne soit qu’une façade ! Alors gardez vos arguments d’insoumis pour vous, ça ne vous aidera pas !
  • Intégrez rapidement tout le verbatim. Quand le CEO vous parle de sa volonté de « rendre heureux chaque salarié de la boîte », comprenez « je vous tuerai pendant votre sommeil si vous ne me donnez pas entière satisfaction, et je prélèverai vos organes au besoin, dans tous les cas ». Si on vous parle de « synergie », c’est une image horrible, façon Jeff Goldblum dans La mouche. Les « collaborateurs », c’est une façon mignonne de désigner un directeur, accompagné de son armée de stagiaires (non rémunérés / non défrayés / non respectés). D’ailleurs, les « boss » sont des « gurus ». Le « lean » c’est la capacité à se comporter comme un chauffard russe bourré et en pleine montée d’acide : on sait pas d’où ça part ni ce qui peut arriver, on fait n’imp’, on va n’importe où, mais plus le temps passe, et s’il n’y pas de mort, on peut réaiguiller le bazar. Vous commencez déjà à vous y faire.

Si vous suivez ces quelques conseils, vous aurez de grandes chances de développer, vous aussi, vos rêves, comme celui de vous casser et de ne plus jamais travailler dans ce type de boîte. Ou de faire accepter à vos parents qui se sont saignés pour vous payer votre école de commerce, que vous préférez, finalement, monter un bar avec des potes.
Dieu merci, cet article n’est qu’une caricature, et les « nouvelles tech » ne riment pas toujours avec tout ce bullshit importé de la Silicon Valley. Sérieusement, on tire notre chapeau à ces sociétés qui ont tout compris à ce business (et au monde des startups en général), sans en faire des caisses autour de leur image (coucou Les Tilleuls.coop, Ankama, OVH).