R. est un homme tout ce qu’il y a de plus normal. Un boulot, un fiston, une maison, un contrat d’entraineur sportif professionnel… Sauf que la nuit, il enfile une autre casquette… Celle de Mindwide, photographe des toits (ou « rooftopper ») passionné de hauteur et de clichés qui déboitent. Il alimente un compte Instagram, où chaque photo est à couper le souffle. Au sens propre.

Pourtant, sa passion est récente. Il découvre la photo sur le tard, en mai 2016. Cet ancien sportif de haut niveau a conservé quelque chose de son passé de compétiteur : le goût du dépassement, et l’envie d’aller toujours plus loin. Il débute avec des cours de photo sur iPhone, et découvre l’Urbex (« Urban Exploration »), où il découvre des lieux abandonnés, cachés et souvent difficiles d’accès.

Très vite, il est confronté aux limites de la photo sur mobile. Du coup, il a investi naturellement dans du matos plus poussé. D’abord, Canon (pour emprunter des objectifs à un proche), puis Nikon… Il dépense pas loin de 6000€ en tout.

« Si demain je n’apprends plus rien, je serais capable d’arrêter la photo »

Il se forme en regardant des vidéos Youtube. En rigolant, il nous montre ses cernes : « je me suis tapé 8h de tutoriels hier pour apprendre à utiliser mon flash correctement ». C’est clair : ce mec est dingue !

Le natif de Tourcoing, qui vit aujourd’hui à Roubaix, est presque possédé par sa passion. Entre les investissements lourds qu’il consent, il passe aussi beaucoup de temps à repérer les spots où il posera son reflex. Le truc, quand on photographie depuis les toits, c’est qu’on ne peut pas ne pas avoir de plan. Rien n’est laissé au hasard. Avec ses potes Anonygrapher et Thomas_Mrl, ils organisent leurs sorties de façon très carrée, presque comme un commando.

« Plein de fois, des mecs viennent me voir pour me demander comment je fais et quels sont mes accès »

Ca le fait rire, et il n’est pas prêt de dévoiler ses recettes, même si elles sont plutôt simples.

« J’ai des connexions à Paris ou Bruxelles, où c’est facile de trouver une liste de toits accessibles. A Lille, on fait tout, nous-même… On cherche nos entrées. Et les habitants ici sont souvent inquiets de voir des gars escalader leur immeuble. Quand ils captent nos appareils photo, en général ils se détendent, et nous demandent presque de les prendre en photo ! »

Le schéma est quasi toujours le même : repérer un immeuble, attendre que quelqu’un entre ou sorte, se faufiler… Puis aller au dernier étage, dans l’espoir de trouver une trappe non verrouillée, ou une fenêtre qui donnerait accès à la toiture. Si l’opération est concluante, il revient de nuit avec son matériel photo. Pourtant, alors que certains « rooftoppers » n’hésitent pas à enfreindre la loi, R. est assez strict sur le sujet.

« Je suis contre le crochetage, le vandalisme… »

Pour autant, il n’hésite pas à ruser, et à baratiner les concierges d’hôtel pour se frayer un chemin parmi les étages. Il rappelle une anecdote, où il a escaladé le dernier étage d’un hôtel très connu de Lille. Là, ses photos sur Instagram ont été reperées par une personne inattendue…

« Le Directeur [de l’hôtel] m’a envoyé un message sur Insta pour me demander de lui donner mes photos… J’ai refusé de les céder gratuitement, et les ai proposées à la vente [pour une somme symbolique]. Il a accepté, elles sont désormais sur le site de son établissement. »

« Les deux fois où je me suis fait gauler, c’est sur le toit du CHR à Lille. Le truc bête, on s’amusait avec des lumières, et une patiente nous a vus. Elle a appelé la sécurité, qui a pensé tout de suite que c’était un patient qui voulait se suicider. Ils ont appelé les flics à leur tour… »

Une autre fois, c’était « Le toit de la Grand Place à Lille. A la Voix du Nord. Le problème c’est qu’il y a les vigiles de la Fnac qui bossent la nuit. Pour le coup, j’avais intérêt d’être rapide et discret. Et là, on est tombés sur les femmes de ménage, derrière une verrière. Elles n’ont pas regardé, ne pensant sans doute pas tomber sur quelqu’un à cette heure improbable. Comme je ne voulais pas qu’elles me confondent avec un cambrioleur, et qu’elles appellent les flics, je me suis plaqué contre un mur d’une terrasse, et j’ai attendu avant de pouvoir filer ».

La Voix du Nord, belle joueuse, ne lui en veut pas, puisque des journalistes de l’édition de Lille l’ont même contacté pour un sujet.

La Garde à vue ?

« Ca fait partie du risque. J’ai pas envie de me faire passer pour un crack ou un mec sans crainte. J’en suis conscient, mais on fait tout pour que ça n’arrive pas ».

R. nous raconte quelques anecdotes croustillantes, mettant en scène des maîtres chiens, et une sortie « in extremis ». Au pire, comme il l’explique dans sa démarche, il est reconduit à l’entrée, et ne force jamais de propriété privée. Hors de question pour lui de dégrader ou de s’amuser à laisser des traces indélébiles de son passage. Il a un mot acerbe pour un « putain de graff horrible » qui aurait été fait sur la coupole d’un bâtiment du Centre Ville.

« Les flics ont surtout peur de la tentative de suicide »

N’empêche, R., qui est le papa d’un bonhomme de 11 ans tempère : « mon fils est le premier à m’engueuler quand je prends des risques ». Il lui a d’ailleurs acheté un petit compact, et lui apprend les bases du light painting. Il parle de la prise de risque, du fait que « certains vont super loin, juste pour une photo ». Parfois bien trop loin, et le monde des rooftoppers est régulièrement endeuillé. « Une inattention, et c’est la fin ». Pas de filet de sécurité, rien… Juste une évaluation sérieuse du risque, et une considération profonde pour sa propre vie et celle de ses proches.

A côté, la journée, R. occupe un poste de vendeur en téléphonie dans une chaîne de la grande distribution. Il espère, à terme, faire de la photo son occupation professionnelle à plein-temps. Ce qui arrivera, on en doute pas une seule seconde. Ce mec est pété de talent !

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