La rue Jules Guesde à Lille est en train de mourir. Après l’avoir occupée depuis plus de 22 ans, Philippe Su a finalement décidé de vendre son resto, le « Bol d’Or », bien connu des amateurs de soupes phô et de gastronomie vietnamienne. À cause de la violence et de la drogue qui sévissent dans le quartier, il ne se sent plus vraiment en mesure de continuer. D’autant plus que les autorités publiques n’ont pas l’air réellement préoccupées par cette insécurité crasse, qui est aussi rencontrée par nombre de commerçants de la rue.

À côté de la florissante place du Marché, un autre commerce s’apprête aujourd’hui à fermer ses portes. Comme d’autres, le Bol d’Or ne sera plus qu’un souvenir dans quelque temps… On passe un coup d’éponge, on oubliera. Mais bientôt, il ne restera plus rien, là où les commerces fleurissaient.

Une rue à l’abandon

Philippe Su a décidé de vendre son restaurant et avec lui, tout l’immeuble lui appartenant, et dans lequel lui et sa famille vivent. La plupart du temps, ses tables sont vides et son commerce n’attire plus les clients. Même, le samedi soir, il peine à remplir son restaurant. Pour le fréquenter régulièrement, c’est pourtant une très bonne table, le patron y est toujours aimable. Il a tout pour réussir. Si ce n’est les crapules mineures qui sévissent à l’extérieur et font fuir tout le monde.

Il est conscient que tout a changé quand deux de ses clients ont subi une agression un soir après avoir dîné chez lui. Cela s’était passé il y a un an et ça a été pour le restaurateur, un déclic. Même s’il n’est pas sur de trouver facilement un repreneur, il souhaite quitter les lieux.

« Je peux crier au secours, mais ça ne sert à rien »

La délinquance sévit beaucoup dans la rue, mais personne ne semble pouvoir faire quelque chose pour y remédier. La vidéosurveillance, installée à grand renfort de communication ? « Totalement inefficace. On ne reconnaît personne sur la vidéo ». Les commerçants de la rue pensent que la sécurité constitue de nos jours une variable d’ajustement dont le fonctionnement dépend de là où l’on habite. Ils se sentent abandonnés, et beaucoup estiment que les pouvoir publics n’auraient jamais toléré de tels débordements dans des coins plus huppés comme le Vieux Lille ou la rue de Béthune.

Dans la Rue Jules-Guesde, quand le célèbre vendeur de chaussures Félix était parti, c’était déjà le signe que rien n’allait. Des policiers rodent parfois dans les environs, mais ça n’a pas l’air de calmer les gosses en place. Clairement, sur ce coup là, ils ont gagné.

Des combats au sabre

Les faits divers dans cette rue sont légion. Tout le monde se souvient de cette baston avec sabre et couteau, en plein après-midi, en octobre 2016.

Renaissance rue Jules Guesde
Photo Alain Couzinet

Un mineur y avait été grièvement blessé. Une trentaine de mecs s’était simplement foutu sur la tronche à base d’armes blanches. Dans la plus pure tradition du moyen-âge. On pourrait se croire dans un mauvais reportage de Bernard de la Villardière, mais ce n’est pas le cas… et c’est presque dommage. La rue Jules Guesde est juste en train de mourir, et tout le monde s’en fout.

Impossible pour les passants de s’y promener sans se faire alpaguer pour acheter des stups ou pour se faire taxer. Lorsque l’on veut traverser cette rue, du marché pour aller vers la rue d’Iéna, c’est une zone de guerre que l’on traverse, complètement pourrie par les gangs. Après le marché, des gamins font les poubelles des bouchers, à la recherche de morceaux de viande qui auraient été jetés. Sérieusement. Bienvenue en 2017.

Un gars du quartier se confie à nous :

« avant, ils se cachaient un peu, maintenant, ils vendent à n’importe quelle heure, et cherchent à faire fuir ceux qui n’ont rien à voir avec leur business. Ils n’en ont plus rien à foutre ».

En septembre dernier, Philippe Froguel, éminent Directeur du laboratoire d’excellence EGID, avait adressé une lettre ouverte à Martine Aubry. Celui-ci s’était fait casser la main dans le quartier. Malheureusement, la première édile de Lille n’a pas pris au sérieux la lettre du scientifique qui dénonçait « l’insécurité publique croissante », et a considéré que ce dernier voulait surtout faire parler de lui.

Sincèrement, le Bol d’Or va vraiment nous manquer. Et la raison pour laquelle ce restaurateur doit mettre la clé sous la porte (comme ceux avant lui qui ont été contraints de partir) est juste intolérable.